Ces beaux noms d’hérésies renvoient à une nature qui s’oublierait assez pour échapper à la loi, mais se souviendrait assez d’elle-même pour continuer à produire encore des espèces, même là où il n’y a plus d’ordre. La mécanique du pouvoir qui pourchasse tout ce disparate ne prétend le supprimer qu’en lui donnnant une réalité analytique, visible et permanente : elle l’enfonce dans les corps, elle le glisse sous les conduites, elle en fait un principe de classement et d’intelligibilité, elle le constitue comme raison d’être et ordre naturel du désordre. Exclusion de ces mille sexualités aberrantes ? Non pas, mais spécification, solidification régionale de chacune d’elles. Il s’agit, en les disséminant, de les parsemer dans le réel et de les incorporer à l’individu.
Michel Foucault Histoire la sexualité, 1 : la volonté de savoir / 1976

17 septembre 2014

"Savoir qu'on n'écrit pas pour l'autre, savoir que ces choses que je vais écrire ne me feront jamais aimer de qui j'aime, savoir que l'écriture ne compense rien, ne sublime rien, qu'elle est précisément là où tu n'es pas - c'est le commencement de l'écriture." Roland Barthes, Fragments d'un discours amoureux, (1977), Œuvres complètes, V, 1977-1980, Paris, Seuil, p. 132


"J'ai toujours vu tout en noir, à commencer par ma mère qui était veuve" Georges Wolinski

Monti Benjamin, Sans titre, 2010, encre de chine sur imprimé, 15,2 x 10,5 cm
quand je m'installe ici, devant l'hybride imparfaite écran-page blanche, j'éprouve la même sensation que dans mes nombreuses tentatives à m'asseoir au volant de la voiture depuis mon accident : je peux y rester des heures mais je ne peux plus conduire. comme sur mon siège-conducteur je suis incapable de démarrer. panique interne que révèle un état nauséeux envahissant, des crampes dans les bras et les jambes, un fourmillement intestinal, un total éparpillement mental ; incapable de savoir ce que je fais là, pourquoi ou comment faire. (1)
après un naufrage que font les marins, eux ?

 "Il ne manque que les mots
  Les fragiles

  Pour se diriger dans le monde" (2)

Lisa me proposa de lire mes brouillons. à force de me voir plancher dans mon jus elle pense, à juste titre, que je suis coincé et qu'une autre lecture, la sienne,  m'indiquera ce que je dois désormais aborder et surtout de quelle manière, de façon à réenclencher la mystérieuse mécanique.
on a ses petites faiblesses et petites dépendances... Lisa commence à faire partie des miennes, elle est "ma chère Clarissa Vaughan" (3).
"Tu cernes BIEN les choses", dit-elle, "pour cela tu prends de la hauteur, tu identifies ta trame et tu te fixes une marche de progression. tu t'offres une vue aérienne, sinon tu perds ton temps, le mien avec..."
"ça s'appelle un plan, Lisa..."
je sais où je voudrais aller, bien sûr.
nous savons l'un comme l'autre ce que je dois faire; il y a le but à atteindre, on a posé le diagnostique cent fois et on cherche un cent unième remède. pendant ce temps là je reste en place et je fais le mort, ou la planche... au mieux je barbote en surface.
...comme on veut. 
Lisa pense de ce regard extérieur qu'il confirmera ce que je suis sensé savoir au plus profond de moi et qu'il me replacera en douceur sur les rails libérateurs de la création...
"tu te souviens que c'est moi qui te forçais à sortir pour te trouver un mec?" questionne-t'elle ingénument et sans délicatesse aucune,
"oui Lisa, je me souviens, je ne sais pas si on peut comparer les démarches ... "
"bien sûr que si!" elle décrète, avant d'ajouter "...et il ne me semble pas t'avoir entendu t'en plaindre....ni l'un ni l'autre d'ailleurs."
coquetterie de coach que se prendre soudain pour Dieu...
je sens alors que, selon son habitude, son tarot la démange depuis le fond du sac fourre-tout, à moins qu'elle n'envisage de me tracer vite fait mon horoscope du mois à venir. c'est son ordre des choses. son préambule à l'action. la divination positive. il y a longtemps que je n'émets plus les doutes cartésiens qui contrarieraient ses efforts et qu'elle sanctionnerait d'un lapidaire "tu es beaucoup trop négatif !"
sans appel.
mais la dernière séance de consultation des signes, cartes et astres eut lieu il n'y a guère plus d'une semaine... lorsqu'il fallut sacrifier à l'inauguration de l'application dédiée sur ce que je crois être un i-pad. alors elle me dit que chaque jour commence avec tant de choses à faire, choses que j'ai scrupuleusement notées sur le joli tableau qu'elle a elle même réalisé et installé dans ma cuisine... il faut bien que je la suive sur ce terrain là. le terrain du "chaque jour sur le métier ...etc."
"tu notes les choses, tu fais les choses. c'est obligatoire non? et pour commencer tu écris : 'reprendre le fil du blog abandonné', ça te fera un entrainement!"  
touché!, me dis-je. c'est pour cette raison qu'hier j'ai "repris le fil du blog abandonné". 
et j'y ajoute pour aujourd'hui ce petit commentaire qui ne mange pas de pain.



Ben, 1990
Ben, Benjamin Vautier, "Tout Est une Question d'Emploi du Temps", 1990.



(1): "Je restai planté là assez longtemps pour qu’un sentiment de solitude totale s’empare de moi, à tel point que tout ce que j’avais vu dans le passé récent, tout ce que j’avais entendu, et la parole humaine elle-même, me semblait ne plus avoir d’existence, et ne survivre qu’un instant de plus dans ma mémoire, comme si j’avais été le dernier représentant de la race humaine. C’était une impression étrange et mélancolique, née presque inconsciemment, comme toutes les illusions, dont je soupçonne qu’elles ne sont pas autre chose que des visions d’une lointaine et inaccessible vérité vaguement entrevue." in Joseph Conrad , Lord Jim, 1900.
(2) :  Éric Dubois, Ce que dit un naufrage, Éditions Encres Vives. coll. Encres Blanches, 2012.
(3) : Les heures - Michael Cunningham, Trad. de Anne Damour, Paris, Belfond, 1999. "Elle se détourne de la vitrine avec une raideur de femme âgée, les bras chargés de fleurs, tout comme son propre fantôme, il y a cent ans, ce serait détourné du tintamarre d’une calèche passant par là, remplie d’élégants piqueniqueurs venus d’une ville éloignée.". "(The) Hours", 2003 de Stephen Daldry, interprétée par Meryl Streep.

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