Couple de rêve 1 : The Bath, 1951, par Paul Cadmus |
il se peut que j'ai encore du mal à le reconnaître, du moins à haute voix, mais, c'est incontestable, je fais désormais partie de la catégorie vieille pédale; cela sans doute depuis plus longtemps que je m'autorise désormais à le formuler ... (étant l’intéressé j'opte pour le privilège d'être le dernier averti...). négligeant des dégradations physiques mineures, cette conviction que je dois m’apprêter à assumer sereinement de l'intérieur avant d'en gérer le coming-out, me vient directement d'un sentiment de colère quasi permanent, dont l'objet principal est cette époque, absolument affligeante, qu'il me faut bien traverser avant d'y achever mon modeste et trouble parcours. en bref : l'impression récurrente d'être parvenu au bout du bout de mes possibilités d'adaptation.
mais de ce sentiment lui même, combien nombreuses sont les origines, connues ou non...
tant qu'à achever quelque chose d'aussi punctissime que ma minuscule existence, (il ne s'agit pas de fausse modestie, qu'on entende ici le punctum barthien, la pointe de la flêche et aussi le petit trou, et encore le hasard, l'outil d'une conscience externe, "un hasard qui me point" pour citer le grand homme), j'aimerais autant conclure en dehors d'un camp de concentration, ou autre structure coercitive et ultime, tout exprès relevé pour les gens comme moi par cette bien-pensance triomphante, exhibée un peu partout, un peu tout le temps, par des troupes de zombis versaillais émancipés, déterrés fort à propos de cet immense charnier des idées à la con de la pensée pétainiste.
ceux là sont parvenus à inverser le cours du temps. bravo, mais moi je veux demeurer jusqu'à la fin loin de ces haines pestilentielles dont l'inévitable salissure fini par corrompre chacun de mes sens quand semaine après semaine je les vois défiler, pérorer, parader toute bêtise assumée, agitant des certitudes prétendument inusables plutôt qu'absolument éternelles pour imposer leurs égoïsmes frileux d'imbéciles gueulards.
couple de rêve 2 : Γιάννης Τζαννής, Yannis Tzannis. |
me voici donc combinant tous les signes de cette sorte de paresse mêlée d'aigreur qui désigne l'âge à compter duquel il semble secondaire de s'adapter aux mouvements du monde, et primordial de se glisser, comme dans un bain chaud et idéalement parfumé, dans une nostalgie bienveillante diffusant cette tranquillité régressive, si proche de l'aboulie, qui autorise enfin le regard déclinant à juger l'ancien plus vertueux que le neuf.
me voici à l'âge d'être vieux qui est aussi celui de la crainte de ne pouvoir échapper à la nostalgie revancharde, laquelle, au-delà de toute raison, méprise le temps présent témoin de sa défaite.
je reconnais rire souvent de moi, à posteriori et loin de regards critiques, tant il me semble avoir été ce que furent Statler ou Waldorf, mes nouveaux héros âgés du Muppet show (références obligées et contextuelles).
couple de rêve 3 : photographie George Platt Lynes |
initialement improbable, notre attachement réciproque n'a pas tardé à mettre en lumière, effet de contraste et combinaison générationnelle associés, des différences comportementales et intellectuelles si criantes que privées d'affect elles nous eussent menés en des zones critiques fatales. le jeu de couple virant au couple en jeu, du rire à la crise. mais il existe tant d'équilibres possibles et amusants qu'il s'en est même trouvés pour nous, et, comme c'est généralement le cas, ces accès passionnels nous ont plutôt rapprochés que fragilisés. ainsi, à l'actif de l'air de ces temps critiquables, la pratique sentimentale d'un éros homosexué loyal qui permet ce numéro plutôt charmant, avouerai-je, de duettistes déséquilibristes amoureux.
il me semble donc que je ne dois ma prise de conscience qu'à ma propre vigilance tandis que notre concubinage clandestin, automatiquement régressif puisqu’amoureux, aurait du me l'épargner.
Couple de rêve 4 |
car mon intime conviction me souffle que cette union très exigeante en fait, m'oblige à demeurer au niveau de mon partenaire, c'est à dire sans jeunisme affiché mais assez réactif pour que des considérations générationnelles ne viennent polluer un quotidien partagé. bien que nous ne totalisions pas exactement le même écart chronologique que le dorénavant célèbre couple Pierre Moscovici-Marie-Charline Pacquot, je sais de mon moi intime qu'il opère ainsi que chez n'importe quel primate évolué, c'est au plus ancien qu'il appartient d'intégrer les codes du plus jeune afin de maintenir échanges et communications. donc efforts et vigilance. jeux et autocritique.
malgré ce qui précède et pour introduire ce qui va suivre, il m'arrive désormais de subordonner mon propos à la préposition suivante : "quand j'étais jeune...", cet appendice lexical, qui précède de peu le gériatrique "de mon temps...", apparaît vers la quarantecinquaine ressassante, il introduit le rejet des aspects devenus invasifs de la modernité, faute de toujours leur attribuer un sens, par effet de pré-saturation supposée, voire d'inadaptation convenue.
couple de rêve 5 : photo Bruce Weber avec Ian MacKellen |
donc, "quand j'étais jeune" : je nourrissais, en marxiste scrupuleux, moins d'espoirs au sujet de ma réalisation personnelle, qui me semblait acquise, qu'à propos de l'évolution inéluctable de la société. ma vie poussait dans l'aventure de la militance trotsko-gaie, déjà bien balisée par quelques jeunes aînés du FHAR, étoile délicieusement dominatrice de la lumineuse anarchie galacto-spermique des groupuscules pédés; et mon objectif d'une existence cohérente du fait de l'exigence permanente d'être soi parmi les autres, en constituait le projet. ainsi donc, que la baise précédât ou non le débat, toute action pratique s'appuyait sur une base théorique solide qui en définissait à priori jusqu'aux ultimes et multiples développements, y compris les plus hypothétiques.
la Révolution Prolétarienne se devait d'être omnisciente, catégorique, libre de hasard, fidèle à la IVème Internationale et surtout ... optimiste!
inutile de dire que la société 2014 n'est pas à la hauteur. toute fabriquée d'idéaux petits bourgeois, parmi lesquels celui que l'évolution sociale doit correspondre à une attente progressiste, croissante et sans cesse innovante; repue d'acquis intellectuels fébriles voisinant trop volontiers avec des resucées de la pensée 30 glorieuses, l'intelligence en moins, un ensemble, pour ne pas dire un "pack", middle-classieux post modern et pré apocalyptique. c'est l'ère de l'imposture à tous les étages tant que ses manifestations sont monnayables. j'avoue, je me sens loin, je me sens las. cela dit, l'idéal communiste n'a de plomb idéologique que dans l'aile stalinienne du concept. je n'ai jamais été stalinien.
couple de rêve 6 : "Der Einstein des Sex" La vie et l’œuvre du Dr Magnus Hirschfeldfilm de Rosa von Praunheim |
l'aversion générationnelle de Guillaume pour toute forme d'échange politique doctrinaire ne laisse d'alternative à l'engueulade que mon frein tout rongé par l'acide frustration du vieux contestataire contrarié. je m'en satisfait, surtout depuis que je vis à la montagne : je pratique la tolérance sélective. j'ai pris goût à voir ses traits se durcir quand les miens se parent du charme agaçant de l'aïeul au savoir despotique quoique parfaitement maîtrisé. mon côté esthète... j'attends avec impatience le jour où il me déconseillera les chaines d'infos pour raisons médicales ... ainsi le laissais-je ces trois derniers jours découvrir avec moult "OH!!!" et autres "OUAHH!!.." l'existence, par exemple, d'une Valérie Trierweiler ...
Couple de rêve 7 : (c)Ервз Рудаиевич Ласине |
c'est à son initiative que mon quotidien s'est hissé très au-dessus du niveau de la mer. vivre ici fut mon challenge géographique de l'hiver-printemps 2012/2013, j'étais sans doute aussi peu préparé à l'altitude que je ne l'avais autrefois été à l'insularité, mais finalement, en étant de nulle part je me fais à tout.
donc, après tant de digressions, et pour tenter un résumé d'ensemble, une forme d'embourgeoisement domestique d'altitude se métastase un peu partout en moi. c'est peut être une manière sereine d'appréhender la sénescence.
si j'ai encore la force d'élever la vacuité du monde au rang de mes afflictions prioritaires, c'est moins au ressenti des manifestations agressives des humeurs contemporaines, moins à la lourdeur rétrograde d'une moralité bigote régurgitée à l'envie et en coloris divers, qu'à la philosophie invasive d'un consumérisme devenu existentiel, impliquant le calibrage d'individus qui laissent là plus de neurones que partout ailleurs.
Couple de rêve 8 : Jon Kortajarena par John Scarisbrick pour Diesel (2009) |
Couple de rêve 8 : Roma, Stadio dei Marmi, photo Gaetano Pezzella |
bien sûr cette extraordinaire félicité pourrait illustrer une forme de provocation à l'adresse de contemporains qui préfèrent se vivre sur un mode victimaire, dont la reconnaissance s'avère dans nos sociétés culturellement plus valorisante. plus moral aussi par temps de crise généralisée. ultime satisfaction d'échapper une fois encore à la morale.
j'en profite pour ressortir, relire, réécrire à l'occasion, de ces vieux manuscrits qu’accumulait le jeune-homme que je fus. c'est une autre rencontre, toujours étonnante, aussi agréable que cruelle et douloureuse, tenant à la fois de l'éclosion et du bilan.
j'attends de savoir qu'en faire...
Bill Costa, "The Bath" Hommage à Paul Cadmus, 1985 |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire