Ces beaux noms d’hérésies renvoient à une nature qui s’oublierait assez pour échapper à la loi, mais se souviendrait assez d’elle-même pour continuer à produire encore des espèces, même là où il n’y a plus d’ordre. La mécanique du pouvoir qui pourchasse tout ce disparate ne prétend le supprimer qu’en lui donnnant une réalité analytique, visible et permanente : elle l’enfonce dans les corps, elle le glisse sous les conduites, elle en fait un principe de classement et d’intelligibilité, elle le constitue comme raison d’être et ordre naturel du désordre. Exclusion de ces mille sexualités aberrantes ? Non pas, mais spécification, solidification régionale de chacune d’elles. Il s’agit, en les disséminant, de les parsemer dans le réel et de les incorporer à l’individu.
Michel Foucault Histoire la sexualité, 1 : la volonté de savoir / 1976

14 octobre 2012

paroles des corps

PHILIPPE REYMONDIN  "NU"

il est en Sardaigne depuis trois jours. pour moi c'est le pays le plus lointain. s'il y est je n'y suis pas et inversement. c'est ainsi, "notre" vie avec ses petites coupures temporelles. séparations de complaisance. pas d'appels, pas de mails, pas de msn. rien. comme d'hab.
pour passer le temps, sans pour autant passer à l'acte, je retrouve mes vieux démons de célibataire qui se nomment Badoo, Gayvox ou encore 62424... toujours prêts à nourrir quelques fantasmes sexuels. passer un moment avec Travprbm, Leche647 ou plus simplement Envie317... au premier abord ce n'est pas très excitant. garçons fantômes errant dans ce hiatus de drague virtuel, ils cherchent l'idéal là où ils ne trouveront que leurs semblables. les plus chanceux pourront tirer un coup, la plupart continueront d'alimenter la machine.
le peuple gay insulaire est là, déguisé d'incertitudes, maquillé de ridicules, camouflé d'apparences. des noms, des âges, des mesures qui sollicitent preneur(s), espèrent le miracle de la Rencontre. un peuple plutôt romantique au final. habillé en Halloween pour une gay pride immatérielle.
de site en site reconnaître l'un ou l'autre, superposer les profils pour en découvrir l'unique auteur. ça tient autant du jeu que de l'hygiène mental. "ici tout le monde se connaît" entend-on dire par ceux qui justement ne connaissent pas la Corse. par contre ici c'est vrai, tout le monde se connaît. pas forcément jusqu'à faire le lien avec la vraie vie, je m'entends. mais à l'intérieur de ce cercle doublement restreint et de gays et de connectés j'en vois rarement revêtir l'aura du petit nouveau...
on se situe innocemment aux antipodes du réel, des ombres affamées qui spéculons sur la chair.
que s'ouvre la porte du monde, avec un numéro de téléphone par exemple, et les chimères s'envolent à grand bruit de battements de cœur.
sms introductifs, l’essentiel sous forme on ne peut plus concise, voire ramassée, atrophiée; appréhender le terrain, sa fiabilité... giclette d'adrénaline qui dans l'utopie d'une vigilance accrue, permet soudain d'envisager le contact vocal. aller plus loin, au risque de la voix, qu'elle se meuve en apparence et gloser déjà de ses silences. "envoi foto", on y est presque, deux fois sur trois il s'agira d'une bite tendue ou d'un cul offert sensés appartenir à l'expéditeur, parfois un homme en pieds artistiquement privé de sa tête... le corps gay au travers de ce média se réduit à son seul désir, dont la substance autoérotique est d'apparaître et d'être vu. un besoin primal de l'autre autant que de soi, de l'alter ego, comme se masturber devant la glace en espérant qu'elle soit sans tain. une démarche réflexive qui me fait penser à une virée dans un palais des glaces.
besoin de l'autre, appétit du corps, sans souci gastronomique. aspect misérable et vital d'une sexualité toujours marginale, toujours bannie.
dès que survient l'image on entre en terre interdite, interdite à ce qui justifiait notre présence, l'illusion de chercher un rapport humain, une relation authentique. l'image et son interprétation vient tout fausser. à quoi bon prolonger puisqu'on a déjà atteint le plus important, le point G de ce marivaudage électronique.
je m'en tiens là. mes vieux démons me désespèrent tandis que la plupart de ceux qu'ils tourmentent me demeurent à priori sympathiques. liens de corps qui se cherchent tous attributs dehors. pas de grande différence avec la drague classique en fait. je me souviens, dans ma jeunesse parisienne, de squares moins clean et bien plus pervers.

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