Ces beaux noms d’hérésies renvoient à une nature qui s’oublierait assez pour échapper à la loi, mais se souviendrait assez d’elle-même pour continuer à produire encore des espèces, même là où il n’y a plus d’ordre. La mécanique du pouvoir qui pourchasse tout ce disparate ne prétend le supprimer qu’en lui donnnant une réalité analytique, visible et permanente : elle l’enfonce dans les corps, elle le glisse sous les conduites, elle en fait un principe de classement et d’intelligibilité, elle le constitue comme raison d’être et ordre naturel du désordre. Exclusion de ces mille sexualités aberrantes ? Non pas, mais spécification, solidification régionale de chacune d’elles. Il s’agit, en les disséminant, de les parsemer dans le réel et de les incorporer à l’individu.
Michel Foucault Histoire la sexualité, 1 : la volonté de savoir / 1976

10 septembre 2012

vague à l'âme du rônin



Quarante-neuf ans, rien que le rêve d'une nuit.

Toute une glorieuse existence, à peine une gorgée de saké.

De la vie et de la mort, qu'ai-je vraiment compris ?
Au-delà du Ciel et de l'Enfer,
Je me tiens dans la lumière naissante de la lune
Libre des nuages de l'attachement.


Uesugi Kenshin(1530-1578)

in Contes des sages Samouraïs, Pascal Faullot SEUIL

pourquoi, déjà dépité par mon actualité calendaire, citer ce texte un peu flippant?
réminiscences... jeune, je fréquentais (comme on dit dans certains cercles sociaux) un garçon qui se faisait surnommer Shogün. je dois avoir conservé certains de mes écrits de cette époque... c'était un seigneur punk, poète de génie, une incarnation si précieuse qu'il m'eût été salutaire d'en anticiper la fugacité.
mes rêves de vieux tenteraient-ils d'agripper ces souvenirs qui ont eux-mêmes dépassé les trente ans? 
il fut un jour, petit matin clos d'octobre, où l'on m'annonça sa disparition. son voilier l'avait abandonné quelque part en Atlantique dans ces gouffres d'eau qu'inventent les tempêtes d'automne. nulle autre refuge, à cet âge, pour abriter ma tristesse que cette envie adolescente d'une mort prématurée. je sentais ce mort puissant reprendre vie en moi et, le temps d'un trajet d'autobus, m'entrainer à la découverte de splendides abysses effarantes de séduction. cette fin, quasi rimbaldienne, m'apparut définitivement plus prometteuse que nos hypothétiques avenirs.
à la manière antique je sacrifiais mon bac sur l'autel du défunt. sans trop savoir pourquoi j'ai continué à vieillir, à me satisfaire d'un monde qui ne m'a jamais plu, me rabachant comme une devise cette phrase de Reich : tu voles le bonheur comme un cambrioleur, la nuit. l'âge n'est que concessions et accomodements avec la pourriture, arrangements et combines entre le biologique et le social, sachant que le premier fera de toute façon la peau du second, ce n'est qu'une question de temps. la merde a le triomphe facile, derrière le mépris qui la couvre elle demeure humble.
premier deuil, (je n'avais jusque la pleuré que mon chat Pipo), j'en ressortais avec cette idée, une certitude qui devint une règle, jamais, quoiqu'il dise, quoiqu'il fasse je ne donnerai tort à un garçon de 17 ans parce qu'il exprime l'absolu de la vie. cette vérité intransigeante que nul autre âge n'ose affronter.
l'âge de mon fils..., quand j'atteins, moi, celui de mon père à sa mort. il me semblait si vieux, si usé, et surtout si absolument inabordable depuis toujours, que, dans l'immédiat du deuil imposé, son absence ne devait rien changer à notre relation... mais ce fut plus tard que j'éprouvais le désir de le connaître; parce qu'il me revenait en rêve j'allais à sa rencontre, découvrais ses objets, ses lectures, et ses notes d'humeurs dont il remplissait des cahiers petit format sans jamais aller à la ligne ni ... mettre de majuscule au début de ses phrases. et je l'ai aimé, avec ce curieux regret de ne pas l'avoir rencontré plus tôt.
ce qui se situait entre le folklore et la légende familiale, devint, grâce au logiciel de généalogie hérédis, une implaccable statistique, imposant aux mâles du nom une longévité excédant très exceptionnellement la cinquantaine. (ce résultat est d'autant plus surprenant que, je ne sais par quel hasard, nous rattrapons nos origines quasiment jusqu'au plancton...)
me sentant dès lors sursitaire, j'en suis tout à la fois inquiet et soulagé, peut-être ce nouvel âge me permettra-t'il d'opter pour l'un ou l'autre de ces sentiments.



  Je sais que ma naissance est un hasard, un accident risible, et cependant, dès que je m'oublie, je me comporte comme si elle était un évènement capital, indispensable à la marche et à l'équilibre du monde. J'ai toujours vécu avec la conscience de l'impossibilité de vivre. Et ce qui m'a rendu l'existence supportable, c'est la curiosité de voir comment j'allais passer d'une minute, d'une journée, d'une année à l'autre.
                              Emile-Michel CIORAN, De l'Inconvénient d'être né, 1973.

"mars 1981 : ... cela semble être passé, je ne t'en veux plus Shogün, je ne t'en veux plus... nous sommes en mars et moi j'écris cela, au lycée des couples se forment, ma main est froide, mon corps est froid qui se souvient... mais je ne t'en veux plus Shogün, je ne t'en veux plus... je m'en veux d'avoir été parfois un peu bête avec toi... tu es peut-être mort Shogün. peut-être mort? et moi? moi qui ne t'en veux plus je suis vivant et je te porte."

2 commentaires:

Thomas Q. a dit…

Bon anniversaire JL :=)
Arrête donc Cioran et tiens, lis plutôt ma mère :
« (...) Il y a deux façons de considérer tout cela : pleurer sur
le temps qui passe et qui nous échappe lentement mais sûrement…ou…
Se réjouir : on est là, en bonne santé, en pleine capacités de faire et de découvrir encore tant de choses, et pour toi, puisque c’est de toi qu’il s’agit aujourd’hui, avec une vie que tu peux considérer avec satisfaction : tu as près de toi la meilleure personne que tu pouvais trouver, tu as une famille qui t’aime, des amis, des moyens matériels…..Je te souhaite d’apprécier cela à sa juste valeur et d’en faire de la joie de vivre, sans peur de l’avenir…. Que ce que tu engranges et engrangeras encore longtemps te donne tout au long de ton parcours en ce monde, une belle force de vie. »

Je t’accorde, ça relève largement de la méthode Coué, mais enfin !

Anyway! « We are family »: http://www.youtube.com/watch?v=eBpYgpF1bqQ
(En fait, c’est ta rencontre avec Philou qui m’a rappelé ce vieux tube du dance floor disco)

We are family,
I got all my sisters with me
We are family,
Getup, ev'rybody, and sing

Nous formons une famille
Toutes mes soeurs sont avec moi
Nous formons une famille
Debout tout le monde et chantons

Jeanluc a dit…

merci de ces encouragements tellement plus réalistes que mes "lamenti" de veille corse! je veux bien croire que la vie n'a pas d'âge et revêtir, une minute, les 18 ans de Frédéric Moreau...
"Quand il eut refermé sa porte il entendit quelqu'un qui ronflait, dans le cabinet noir, près de la chambre.(...)
Son visage s'offrait à lui dans la glace, il se trouva beau;-et resta une minute à se regarder."
mon ronfleur à moi n'est pas étranger à cette beauté là, j'en suis bien conscient et plus encore lorsqu'il se réveille.le passage du temps en perd de sa rudesse quand d'un regard, l'aimé relativise le comput brutal des seuils décennaux.
et puis il y a les petits mots sympas qui font mouche, encore une fois, merci..