le jour n'était pas levé quand le train a quitté la gare de Rome. nous nous sommes assis face à face et je t'ai regardé lire. un petit livre dont les mots parfois semblent te sauter au visage comme des éclaboussures, y abandonnant quelques ombres. de la bouche tu dessines le profil des phrases, laissant fuir de temps à autre un mot de trop. puis j'ai vu les lettres du livre s'émietter, se transformer en petites pattes de fourmis égrillardes remontant ton regard, gravissant les boucles de tes cheveux... tu te frottes les yeux mais malgré toi ils se ferment, tes paupières tombent tel un couvercle derrière lequel les mots perdus et prisonniers continuent de glisser vers les songes.
les champs qui constituent le paysage fument. condensation, fermentation produisent ces nuées suspendues à hauteur des cheminées. le noir du ciel n'est plus qu'un fond qui se délite, les végétaux, comme le reste du vivant, attendent la caresse imminente du soleil.
c'est alors un flot de couleurs chair, d'air gonflé d'ivoire qui vient lécher le monde. toi tu dors, ignorant ces furtives tentacules de poulpe géant qui frappent à la fenêtre en parcourant le Latium. un petit trait de bave glisse gourmand du coin de ta bouche, je le recueille délicatement sur mon mouchoir, cela a pour effet de t'agiter, tu relèves tes jambes, te replies un peu plus sur toi. je considère tes bas de pantalon très relevés alors que tu ne portes pas de chaussettes. je m'arrête à l'os saillant de ta cheville, la peau alentour, striée de petites veines, raconte un monde que je connais par cœur. c'est la carte secrète des chemins qui nous éloignent l'un de l'autre, de ces mers qu'il faut franchir, de ces terres qui demeurent étrangères. c'est la carte de nos séparations et de nos retrouvailles. tu y as fait tatouer une ancre bleue, j'y ai ajouté cette fine chaine en or.
le train ne va pas tarder à s'immobiliser en gare de Civitavecchia, puis je monterai dans le ferry. seul.
réveille-toi!!! je suis ici, face à toi. qui tu es pour moi? TOUT
18 mars 2012
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