j'ai en mémoire l'alignement monstrueux d'innombrables petits verres étroits et fins. ceux avec un fond épais où on a figé une bulle d'air pour l'éternité, qui rend vaine toute tentative d'évaluation de capacité. mais il est encore là le volume, coincé quelque part entre estomac et intestins, organes matinaux et récalcitrants comme en témoigne le pli douloureux de ta bouche.
pourquoi j'ai pas pensé à tout ça hier soir quand je suis monté dans ta voiture surchauffée, sur-musicalisée, sur-saturée d'un déodorant sucré façon barbe à papa? ta voiture de rital en bref. l'enjeu était de rejoindre le port dans les temps, ceux des horaires de la compagnie maritime. on s'est bafouillé quelques phrases au dessus du tableau de bord, sans doute banalement allusives... rien que le reflet alcoolisé d'un désir latent. je compatis quand un hoquet t'étrangle mais je participe vite à ton fou rire. je crois qu'on ne sait déjà plus lequel doit prendre le bateau ce soir...
une partie de la route est en réfection, c'est là que tu décides de foncer comme un fou, gueulant des horreurs latines tandis que tu soulèves des vagues poussiéreuses de sable sec, puis on retrouve le noir asphalte, fraichement répandu, tu glisses à travers les fumeroles. un peu partout des hommes en gilet orange ou jaune fluo agitent des lampes torches. cette effervescence parait absolument étrangère à la région, mirage nocturne, peut-être des chimères de l'Enfer venues jusqu'ici manier la pelle ouvrière... "bastardi! polacchi!!!" c'est toi qui dit ça? j'ignore tout des tensions sociales locales.
à l'arrêt je me soucie soudain de mon image, mon visage a quelque chose d'infernal lui aussi, ce que je vois dans le rétro est graisseux et barbu, pommettes rougeaudes, cheveux collés sur le front et oreilles cramoisies... immenses... on jette un œil en direction des navires à quai, le notre, le mien, devrait se trouver là, mais la place est vide... et ça pue l'huile de poissons et le mazout.
je te suis dans le premier troquet, s'y mêlent ceux qui boivent et ceux qui cuvent, les derniers et les premiers de la nuit et du jour, et ceux intemporels qui se mangent la soupe... pas de nappes, tables branlantes, chaises fatiguées, tout le monde fume tant qu'on distingue à peine les néons jaunasses du plafond. pas un regard dans notre direction, on doit faire couleur locale...
les odeurs se mélangent, sueurs, cigarettes et oignons frits sur fond ammoniaqué de chiottes pas nets et de poissons pas frais. j'ai la soudaine certitude qu'on est entrain de m'enfourner tout ça sous forme solide dans la bouche et le nez, je sors aussitôt avec une terrible envie de gerber.
tu m'as retrouvé, paisible, entre deux containers et ça s'est dénoué immédiatement comme nos fringues. dans ton dos, entre deux morsures, j'ai répété avec extase ton nom comme si cela venait de m'être permis. nos vêtements sont tombés, nous nous sommes retrouvés complètement nus dans l'air et trop chaud et trop froid. nos corps au contact, exposés, excités, mon sexe se gorgeant de force et de violence t'a écarté et ma langue cherché et goûté.
combat de mains, de mots, de souffles, de baisers...
...de désirs qui enchainent des réponses positives, des acceptations passives...
dans la douceur des ombres...
ton parfum est un leurre mentholé qui me retient prisonnier, moi, mes mains sur ton corps dans leur manège, leurs promenades, leurs aventures. incontrôlables nos cœurs battent, s'emballent comme nos respirations.
mes genoux deviennent le trône du prince que tu es. je me plie à ton oreille et t'assaille de questions : je peux faire cela? s'il te plait..., s'il te plait?! je peux?, tu veux quoi?, laisse moi faire..., c'est quoi le mieux?... je parle bas, dans le creux de ton oreille.
ma bouche pleine d'une mixtion amoureuse recueillie sur ton corps a volé tes lèvres. je te laisse glisser entre mes jambes, t'amarre à moi, tu vibres à chaque instant, tout le temps que je te pénètre attentif à ne pas te faire mal, c'est mon sang qui cogne à l'intérieur de toi et tu te soulèves comme un fleuve où je suis nageur. tes soupirs sont de plus en plus profonds, tout s'articule autour de ce souffle, la frappe de mon corps sur le tien, danse érotique des hanches, les gestes appris du plaisir qui nous condamnent à sa réalisation.
on s'est baisé comme deux brutes organiques électrisées, à se chercher toujours au-delà du contact, au-delà du manque qui revient sans cesse comme pour dire qu'il n'y a pas de fusion possible des corps, même les blessures se demeurent étrangères, aussi profondes soient elles. au paroxysme du plaisir c'est l'impression d'agoniser qui s'impose en place de la joie qui devrait être.
on est revenu sur nos pas, en s'épargnant toutefois la case troquet. dessoulés ou presque. lentement, sur la route asphaltée comme sur le sable, ignorants les "polonais" et le reste. en rentrant chez toi s'est moi qui t'ai fait couler un bain et moi qui t'ai porté dedans, et puis nous avons refait l'amour pour nous endormir, sûrs que la clé est restée dans la serrure, mais sans savoir si la porte est ouverte ou fermée.
alors le matin on se réveille, je ne sais pas si tu es entrain de te demander ce que je fous encore dans ton lit... je vois dans tes yeux le reflet de tes pensées,c'est toujours pareil quand je te rejoins ici je n'arrive pas à repartir seul.
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