Ces beaux noms d’hérésies renvoient à une nature qui s’oublierait assez pour échapper à la loi, mais se souviendrait assez d’elle-même pour continuer à produire encore des espèces, même là où il n’y a plus d’ordre. La mécanique du pouvoir qui pourchasse tout ce disparate ne prétend le supprimer qu’en lui donnnant une réalité analytique, visible et permanente : elle l’enfonce dans les corps, elle le glisse sous les conduites, elle en fait un principe de classement et d’intelligibilité, elle le constitue comme raison d’être et ordre naturel du désordre. Exclusion de ces mille sexualités aberrantes ? Non pas, mais spécification, solidification régionale de chacune d’elles. Il s’agit, en les disséminant, de les parsemer dans le réel et de les incorporer à l’individu.
Michel Foucault Histoire la sexualité, 1 : la volonté de savoir / 1976

12 février 2012

moments slaves

boxer et maillot ouvert semblent l'allonger encore, ce corps à la peau blanche et fine qui tend ses jambes sous le drap sans pouvoir les couvrir tout à fait, tandis qu'il dort la tête posée dans ses bras repliés. 
dehors le ciel est gris et froid comme en témoigne ce filet d'air que ma main désœuvrée suit au bord de la fenêtre.
un tatouage intime dans l'intérieur de la cuisse droite représente, à ce que je peux en juger, un lion qui louche vers des cercles colorés(?). plus haut la place du nombril est marquée par le rouge puissant d'un bout de corail que je jurerais vrai. une pilosité rare et brune, probablement entretenue, me rappelle sa fragilité. sa douceur. son élégance naturelle.
dehors il y a Paris, quartier de Port-Royal que la neige a réduit au silence, il n'y a de bruit que celui d'un train qui passe parfois, s'arrête et puis repart, une agitation concentrée et prévisible.
lui aussi criait dans la lumière et la musique trop forte, ivre de bière et d'excitation, se retrouvant même hors de lui, livré à tous les regards et toutes les concupiscences dans cet espace de mensonges, ses pieds battaient le sol couvert de saloperies qu'ils écrasaient ou qui venaient se coller à ses chaussures. il s'amusait.
la neige souligne la crénelure orientale de l'Institut d'Art, un lieu qui m'est demeuré très cher. c'est à cause de lui que j'avais réservé dans cet hôtel. pour le voir encore, mes années d'études et de jeunesse donc. un monument de souvenirs couvert de chantilly.
moi je cherchais ses yeux, je voulais y plonger, par désir... par curiosité aussi. à l'inverse de ce corps son regard me semblait engourdi, brouillé, et je rencontrais des pupilles tremblantes qui s'attachèrent à moi. m'attirèrent à lui. jusqu'à lui. avec la langue j'allais chercher un peu de salive dans sa bouche et la ramenais sur ses lèvres sèches et gonflées, et ma main, paume ouverte, remontait son dos pour y capter les ondes de plaisirs qu'elle y faisait naître.
dans le taxi qui nous amenait à l'hôtel il chantonnait en se rythmant avec sa tête. je me demandais s'il m'annoncerait le "tarif" et comme il n'en faisait rien je me disais que ce serait peut-être à moi d'en parler... je me sentais très provincial pour le coup, pas l'habitude. et quand j'ai voulu aborder le sujet il m'a interrompu, pour me dire qu'il était né dans les environs de Kiev... et m'interroger sur ma provenance parce qu'il ne m'avait encore jamais vu dans ces genres de soirées...
tout à l'heure j'ai glissé une enveloppe dans une poche de son pantalon. j'espère ne pas avoir été mesquin. au cas où, j'ai aussi mis mon numéro de téléphone.
il dort encore, plié sur son côté droit, sa respiration est lente et profonde. je le vois rêver. on dirait un enfant.
mon réveil sonne, je n'y pensais pas, il ouvre les yeux, s'aveugle en se tournant vers la fenêtre et maltraite quelques mots de russe, qu'il traduit vite dans un français édulcoré : chienne de lumière de merde! je tire le rideau.
la langue russe se plait au vulgaire.


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