Ces beaux noms d’hérésies renvoient à une nature qui s’oublierait assez pour échapper à la loi, mais se souviendrait assez d’elle-même pour continuer à produire encore des espèces, même là où il n’y a plus d’ordre. La mécanique du pouvoir qui pourchasse tout ce disparate ne prétend le supprimer qu’en lui donnnant une réalité analytique, visible et permanente : elle l’enfonce dans les corps, elle le glisse sous les conduites, elle en fait un principe de classement et d’intelligibilité, elle le constitue comme raison d’être et ordre naturel du désordre. Exclusion de ces mille sexualités aberrantes ? Non pas, mais spécification, solidification régionale de chacune d’elles. Il s’agit, en les disséminant, de les parsemer dans le réel et de les incorporer à l’individu.
Michel Foucault Histoire la sexualité, 1 : la volonté de savoir / 1976

10 novembre 2011

Samuel Costa, photographe 1954-1987


outil de mémoire souvent, la photographie n'en est pas moins un art amnésique. les clichés restent, originaux solitaires ou dupliqués jusqu'à épuisement des supports et des regards, tandis que les noms se perdent pour peu qu'ils aient été un jour connus. 
mon intention est que quelque part dans la toile figure celui de Samuel Costa, pour lui, pour les siens, pour ceux qui l'ont approché, apprécié, aimé. voire admiré comme moi. la photo et lui se sont rencontrés et plus quittés, il a voulu en percer tous les secrets, aborder tous les genres, faire vite, sans savoir pourquoi il voulait faire si vite, juste par bonheur pensait-il sans doute. parce que son bonheur est présent dans chaque cliché, nature, esthétisant ou facétieux. autant que dans tout son être. son regard lisait le monde, en cherchait structures et articulations. les corps de notre monde qui découvraient enfin la lumière, le droit d'être beaux et sensuels. je verrais plus tard qu'elles étaient ses influences, ses maîtres avec lesquels il élaborait son propre langage.
dans un hors-série photo de 1988 que Gai Pied lui co-dédiait avec Bernard-Pierre Wolff, également décédé, Frank Arnal écrivait sous le titre : COSTA DESTIN BRISE
Quand Samuel a décidé de quitter temporairement Paris pour retourner vivre quelques temps à Goïania dans sa famille, il pensait que ce serait suffisant pour se refaire une santé. C'est là-bas, au Brésil, qu'il est mort dans une ambulance appelée d'urgence. Samuel aurait dû rester à Paris et prendre en charge sa maladie, mais il a pensé qu'un court séjour dans son pays natal suffirait à le remettre sur pieds. C'était sans doute folie mais comment ne pas comprendre : il commençait à peine une brillante carrière de photographe et ne pouvait envisager une mort aussi absurde.
Samuel est né à Jataï au Brésil, dans l’État de Goïas, d'une famille de fermiers. Il est arrivé à Paris en 1975, à vingt et un ans. Débrouillard, il se fait engager par la famille Bousquet (Cacharel) pour emmener leurs enfants à l'école. La nuit il est portier dans un hôtel. Il s'inscrit à l'Université de Vincennes et y apprend les techniques de la photo. Ses premiers clichés paraissent dans Gai Pied dont il devient collaborateur régulier en 1983, quand le journal prend un rythme hebdomadaire. Il s'exerçait surtout dans le portrait et le nu mais, disciple de Daniel Aron, il réalisa de nombreuses natures mortes qu'on commençait à publier dans les suppléments du Monde ou au Magazine Littéraire. Dans les deux cas son œuvre naissante était majoritairement en noir et blanc.
A trente trois ans Samuel refusait d'envisager exposition ou recueil de photos, préférant laisser mûrir son travail. Nos lecteurs connaissent bien sa série de garçons, qu'il préférait présenter sous le nom de Dimitriu quand la pose était trop sexy. Samuel savait qu'on ne pardonne pas certaines dérogations aux convenances. Va donc pour Dimitriu! La photo était parfaite, l'éclairage sûr et précis... corps répandus sur des fonds étoilés ou lumineux. Ce furent les fameuses couvertures (qui ont contribué au succès du journal).
Douloureux mois d'octobre 87. Le journal a perdu un précieux collaborateur mais aussi un ami passionné par son métier et par l'aventure GPH.
Costa reste parmi nous.
non, ce n'est pas une oraison funèbre, non plus une froide fiche bio sans affect, c'est l'esquisse d'un personnage tellement prometteur, la présentation d'une œuvre en devenir. c'est la seule biographie que je connaisse de lui. en ce temps la mort frappait en continu.
(les photos sont extraites de Gai Pied Hebdo n°149/150 du 22 décembre 1984)

4 commentaires:

Marquise La Blanchette a dit…

Très touché par cette page consacrée à Samuel Costa, ou Sam plus simplement que j'ai bien connu dans ces années 1980. Je fus un de ces nombreux modèles, un amant occasionnel aussi et j'ai conservé quelques clichés pris par lui. Je garde un souvenir tendre et admiratif pour ce jeune talent fauché trop tôt par la mort, et j'ai de l'amitié pour l'homme qu'il fut. Serge

Jeanluc a dit…

Nous sommes quelques veuves, Marquise, que Samuel éparpilla joyeusement de par le vaste monde ..., et je suis très heureux de pouvoir t'adresser ce petit coucou nostalgique et affectueux!

Marquise La Blanchette a dit…

Et oui c'est bien la nostalgie d'une sorte d'âge d'or quand on a eu 24 ans en 1981 - la gauche au pouvoir - et que l'on se croyait presque éternel...Tellement l'air était plus léger ! Moi aussi je te salue amicalement Jean-Luc et je signe :
Serge.

Anonyme a dit…

Emotion, à mon tour, de trouver cette page rendant hommage à Samuel. Notre dernier échange : une photo sans prétention prise par moi du village lacustre de Ganvié au Bénin au dos de laquelle je lui adressais quelques mots et qui m'est revenue quelques temps après du Brésil avec l'annonce d son décès. Et, surtout, sa dernière lettre au dos d'un portait qu'il avait pris de moi à Paris, où il me décrivait la dégradation inattendue pour moi de son état de santé, les heures qui lui avaient été nécessaires pour écrire de son écriture si particulière (que je retrouve ici avec émotion) les lignes concluan, enforme d'adieu, que nous avions eu une bonne amitié.
Merci Philippe