Ces beaux noms d’hérésies renvoient à une nature qui s’oublierait assez pour échapper à la loi, mais se souviendrait assez d’elle-même pour continuer à produire encore des espèces, même là où il n’y a plus d’ordre. La mécanique du pouvoir qui pourchasse tout ce disparate ne prétend le supprimer qu’en lui donnnant une réalité analytique, visible et permanente : elle l’enfonce dans les corps, elle le glisse sous les conduites, elle en fait un principe de classement et d’intelligibilité, elle le constitue comme raison d’être et ordre naturel du désordre. Exclusion de ces mille sexualités aberrantes ? Non pas, mais spécification, solidification régionale de chacune d’elles. Il s’agit, en les disséminant, de les parsemer dans le réel et de les incorporer à l’individu.
Michel Foucault Histoire la sexualité, 1 : la volonté de savoir / 1976

09 octobre 2014

"Vous devriez le savoir Monsieur, même l’amour d’un chien, c’est sacré. Et on a ce droit-là (aussi sacré que celui de vivre) de n’avoir à en rendre compte à personne." Marguerite Duras, L’Amant de la Chine du Nord.

 
Marcel à 15 ans en mars 1887, photographié par Paul Nadar.

mon problème, parmi d'autres, est que je n'ai jamais eu d'opinion sur Proust. ado gourmand, je me précipitais sur "Du côté de chez Swan", spéculant largement sur ce qui pouvait bien s'y passer... est ce de cette désillusion initiale que devaient naître mes difficultés futures? il fallait pourtant "avoir lu Proust", quitte à s'y emmerder comme un rat mort, quitte à passer totalement à côté.
aujourd'hui il y a des manuels pour cela, et des best-sellers estivaux. peut-être aussi des traductions en langue vernaculaire...
en triant avec émotion mes antiquités personnelles je tombais sur un commentaire philosophique de ce texte :  
Et c'est en somme une façon comme une autre de résoudre le problème de l'existence, qu'approcher suffisamment les choses et les personnes qui nous ont paru de loin belles et mystérieuses, pour nous rendre compte qu'elles sont sans mystère et sans beauté; c'est une des hygiènes entre lesquelles on peut opter, une hygiène qui n'est peut-être pas très recommandable, mais elle nous donne un certain calme pour passer la vie, et aussi comme elle permet de ne rien regretter, en nous persuadant que nous avons atteint le meilleur, et que le meilleur n'était pas grand chose, pour nous résigner à la mort.
Marcel Proust, A l'ombre des Jeunes Filles en Fleurs, NRF, 1918.
et je m'embarquais à la tête de toutes les armées de mes 17 ans, contrarié que l'on puisse confondre "l'existence" avec "passer la vie"... mais c'est une autre histoire. 
en relisant cette phrase, je m'aperçois qu'elle renferme tous les domaines de la philosophie, et ce que l'on prend tout d'abord pour des entrebâillements feutrés vers telle ou telle manière de voir, s'avèrent être de violents courants d'air qui décoiffent sans ménagement nos têtes bien faites, les entrainant vers des questionnements fondamentaux. l'Existence donc.
bien sûr Marcel précise qu'il s'agit d'une option limite condamnable, on sait par ailleurs que la plupart de ses choix de vie furent pour le moins discutables, non que les miens ne m'aient jamais semblé extrêmement judicieux, dans notre situation, à l'un comme à l'autre, tout se résume finalement à nos possibilités d'adaptations. mais je n'en ai pas fait sept tomes, moi.
ce doit être une des raisons pour lesquelles il me demeure si étranger. je fais partie de ses lecteurs malheureux, ceux qui ne peuvent jamais ponctuer une exclamation de l'à propos d'une référence proustienne. je le confesse il m'a souvent endormi, je me suis forcé, je me force encore à le lire. je lui reproche ce fond d'humeur désabusée qui relève d'avantage du caprice de nanti que du poète écorché. critique trop facile certes, on peut vivre très dignement en dehors de la torture et mener à bien sa carrière de génie, car Marcel est un génie, qui parvient à dissimuler ses écorchures sous une mise impeccable.  
j'aime bien sa vie, sa vie à lui, celle que j'imagine. il m'arrive de me demander ce qu'il pensait enfant. sa vie entre ses meubles, puis avec Céleste qui veille au grain et qui sait tout, le moment où il se regarde une dernière fois dans son miroir avant de sortir... quand tout est sombre enfin, presque facile et paraît lui appartenir. sans doute qu'il en a réellement bavé, malgré ses petits airs proustiens. je comprends qu'il fasse des phrases longues comme des errances et même qu'il tente de nous y entrainer façon jeu de piste avec son petit côté pervers. elle est là sa vie, dans son paysage, comme les mouvements des nuages au-dessus de la plaine, elle domine son texte immense et fait d'étranges figures qui nous engagent sur d'autres plans. des ailleurs qu'il faut bien chercher en nous mêmes.
mais voilà que dans son questionnaire éponyme, s'agissant d'avouer son occupation préférée, il répondait "aimer".  
oui, je crois qu'en fait nous sommes d'accords sur nos préférences et sur l'essentiel.
Lettre de Jean Cocteau à Marcel Proust, 30 mai 1921. A propos du  "Côté de Guermantes" (coll. part.) [art press 404, octobre 2013.]

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