nous pouvons sans peine demeurer silencieux. ça ne nous a jamais posé de problème. jamais. ni toi, ni moi n'avons ressenti de gène. de besoin pressant de parler pour rompre un quelconque embarras.
d'ailleurs c'est lui qui nous a réuni. le silence. parce qu'à force de fuir le bruit des phrases creuses d'une soirée provinciale et prétentieuse on a fini par se trouver face à face, dans l'ombre et à l'écart. mutiques. contents de cette rencontre.
de notre ile commune j'avais appris la discrétion verbale dont tu avais, toi, la pratique innée.
qu'ajouter à ce que disent les yeux? à ces signaux déjà nombreux que s'adressent les visages, les corps? la rareté donne aux mots tant de force qu'il convient ici d'en user précautionneusement.
nous, maintenant assis côte à côte sur la plage...
la mer gonfle et creuse ses vagues molles et scintillantes puis les roule jusqu'au bord, jusqu'à nos pieds, produisant chaque fois un long crissement sur le sable coquiller du rivage, rauque, comme s'il s'agissait de sa propre respiration.
la voix de la mer. la brise amène son odeur de sel et d'algues qui picote les joues et le nez. vu d'ici le golfe se découvre en totalité, avec son air singulier de fjord exilé en Méditerranée, configuration stratégique qui fixa un temps les génois. au fond le village, dressé sur son à pic, tel qu'ils crurent utile de l'élever et de le fortifier dans ses murs de granit, brun sombre à cette heure, rouge lumineux à d'autres. peine perdue pour ces occupants de jadis, l'image paradisiaque cachait une nature hostile qui terrassa la plupart d'entre eux et dispersa les survivants livrés aux coups vengeurs indigènes.
quelques mots de poésie eussent-ils changé l'histoire de ce pays? une parole contre une autre, puis c'est une question de quantité et de grammaire, pour faire des phrases en s'appliquant à les charger, ou pas, de sens, de légèreté.
tu as replié tes jambes et les tiens serrées dans tes bras, le menton posé sur les genoux. mes pensées se regroupent aussi pour aller du dos de la main faire tomber le sable collé sur ta peau. jouer. à rebrousse poils sur tes mollets et tes cuisses. j'use de ce droit précieux que j'ai de te toucher quand je le veux. avant, il n'y a pas si longtemps, tu aurais dit "pas ici!", maintenant tu t'en fous, tu souris.
de temps en temps quelques touristes, tenues d'été ou d'hiver dont ils paraissent s’accommoder. ils passent, sans rien dire non plus, week-end de Toussaint en Corse, drôle d'idée. réincarnations des anciens colonisateurs qui se seraient encore trompés de saison...
05 novembre 2012
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