14 mai 2012
H Κυρά της Ρω / La Dame de Ro
C’est un matin sans éclat sous un ciel où se pourchassent des nuages pourtant bien gros. C’est encore un matin de vent, de ce vent bruyant et violent qui parcourt la mer Egée sans se soucier d'avantage des petites iles que des petites gens. Il est ici le maître, maître de ces arbustes rabougris par sa faute, nains tordus qui font peine, ces arbres de Ro en bois de fer qu’il brise quand il le désire.
Désormais cette terre poussiéreuse est la seconde peau de La Dame de Ro. Le rocher que le soleil a poussé dans la mer et qu’elle arpenta soixante et cinq printemps, depuis 1948 jusqu’au treize mai 1982, jusqu’en être l’incarnation. Ici les nuages ne s’arrêtent pas, la pluie ne tombe pas, et si par hasard cela arrive c’est comme un métal qui se répand sur la pierre et brille comme autrefois ses joues parcheminées.
On la devine toujours Δέσποινα Αχλαδιώτη, toute seule. Deux petits pieds serrés dans des chaussettes de laine noire, rentrés dans des chaussons de feutre jaune et noir…des babouches en fait.
Quand elle descend sur les plantes du jardin la nuit y laisse ses bienfaisantes caresses humides. Et aux premiers moments gris du jour quand elle sort de sa maison, Despina de la main peut encore caresser les caresses de la nuit et participer de ce petit bonheur du vivant. A ses poules qui l’attendent elle jette des miettes de la poche de son tablier, puis elle part d’un pas assuré, franchit son portail, laisse derrière elle les quatre murs blancs de sa maison, l’unique maison de l’ile. Quand le jour est levé l’instant pour les grillons est venu de donner des frissons au silence. La mer qui souvent parle fort, se tait maintenant que le vent est en l'air, elle a soudain pris la couleur et la mobilité d’une immense ardoise, tant qu’elle semble se prolonger dans les pierres du chemin qui gravit la colline.
C’est ce chemin que Despina gravit chaque matin, elle tient serré dans sa main le drapeau des Grecs. L’endroit qu’elle rejoint est modestement dominé par un mât blanc qui sort de buissons d’épineux ras et denses. Seul, lui aussi, un olivier a triomphé de la pierre et ses racines nerveuses et à vif crient sa glorieuse et permanente souffrance. On pourrait croire qu’en ce lieu la Terre agonise tandis qu’au-delà la côte turque sourit.
Alors Despina fait chanter la corde et siffler la poulie rouillée pour que grince cet hymne quotidien du bout du monde. Bleu et blanc s’élève le drapeau dans le ciel bleu et blanc. Puis elle s’en retourne aussitôt ayant aujourd’hui encore accomplit l’œuvre sacrée d’une volonté qui la dépasse, refaisant à l’inverse ce sentier qui ne connait que ses pas et les lézards.
A son approche ses chèvres bêlent et se rassemblent, elle les entend et leur crie quelques mots qui disent qu’elle revient pour elles. Sur son seuil un panier à olives recueille sa canne parmi d’autres ustensiles polyvalents. Elle referme la porte derrière elle et dans le clair-obscur s’installe à sa table où elle va déjeuner de pain, de fromage et d’eau, tout en surveillant le passage du temps accroché aux traits de lumière qui strient la pièce.
Aujourd’hui le vent est tombé, le drapeau sur sa hampe demeurera immobile. Cela n’a pas d’importance, Despina n’a guère bougé non plus dans sa vie, mais maintenant elle est le vent et la mer, la roche et le sable, elle est cet olivier qui voit le monde, elle est l’âme éternelle de la Grèce.
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